En quoi notre culture occidentale favorise l'émergence des états limites ?
L’état limite serait un état intermédiaire entre trouble névrotique et trouble psychotique.
Le névrosé vit dans la réalité et la compense sur le mode du fantasme alors que le psychotique se retire ou dénie la réalité et lui substitue le délire, l’hallucination.
Le névrosé a intégré les interdits parentaux tout particulièrement celui de l’inceste lors du stade œdipien, il réprimera ses pulsions sous le poids moralisateur de son Surmoi autoritaire. Le Moi du Psychotique, quand à lui, prendra le partie du Ca pour détruire.
L’état-limite souffre d’un déficit de structuration œdipienne (psychose) mais ne délire/ni n’hallucine (névrose).
Dans le DSM 5, il est définit comme un mode général d’instabilité des relations interpersonnelles, de l’image de soi et des affects avec une impulsivité marquées. C’est un trouble de la personnalité.
Les principaux symptômes sont une instabilité affective avec par exemple de multiples relations éphémères, une forte impulsivité, de fortes colères sans véritables raisons, des prises de risques (conduite auto, sexualité…), des réactions disproportionnées au stress, un sentiment de vide, d’ennui ( pour lutter contre cela la personnalité limite peut s’engager brillamment dans une action pour très vite être lassée, se désengager et aller voir ailleurs), état dépressif, automutilation, suicide, trouble de l’identité, peur de l’abandon…
L’histoire de la psychanalyse nous a enseigné et nous a prouvé que bon nombre de troubles psychiques prenaient racine dans l’enfance, ou tout du moins durant les étapes du développement psychique humain.
Nous parlons de relations soumises à l’image d’un rapport enfant/parent, relation d’amour ou son inverse si la personne éduquante n’apporte pas ce qui est souhaité, ou encore d’identification, de dépendance (idéalisation/dévalorisation de soi). Egalement, du concept d’absence/ présence (LACAN) mettant en exergue la perte ou l’intrusion (André Green). Mais aussi, de relation (équilibrée) à l’objet possible que si l’enfant s’est « séparé » de sa mère (Bergeret).
Mais, il est également intéressant de se pencher sur le contexte sociétal lorsque l’on parle de personnalité limite.
La culture occidentale, aujourd’hui met à mal l’autorité, en général, en commençant par celle du père qui n’est plus le gardien de l’autorité et de l’interdit ou qui a de moins en moins le rôle de séparateur symbolique entre l’enfant et sa mère. Tous les symboles de loi ou d’autorité (polices, état, professeurs etc..), ne sont plus respectés. Les rituels sont devenus has-been. Le pouvoir est à la consommation, du tout de suite et maintenant. Il y a une déstructuration du Moi.
De plus, le temps, ou plutôt sa gestion, le pouvoir du regard de l’autre, ou les attentes d’une société envers ses citoyens est souvent source d’angoisses, de pressions, de défaut identitaire (ce que l’on doit être opposé à ce que l’on est, ou en tout cas ce que la société, le groupe attend de nous). Car l’humain est un être communiquant et pour cela, il a besoin de l’autre, du cercle, du groupe. Il veut en faire partie mais il est aussi tiraillé par son unicité, son besoin identitaire d’être reconnu unique et encore une fois, par qui peut-on être reconnu, si ce n’est par l’autre ? On retrouve ici la notion de dépendance.
Aujourd’hui, nous « dépendons » de notre travail, de notre réussite familiale, professionnelle, sociale à travers le regard des autres.
Pour les femmes, par exemple, il faut avoir des enfants bien éduqués, avoir des qualités d’épouse, un travail, tenir sa maison convenablement, avoir une bonne forme physique par exemple. Sur les réseaux sociaux les mères au foyer sont traités de paresseuses et totalement incomprises, surtout, d’ailleurs, par d’autres femmes, qui peut- être, agissent par manque de reconnaissance ( « je travaille et je fais les mêmes choses qu’elles ») ou par culpabilité ( « j’aimerai être plus présente pour mes enfants, mais je suis obligée de travailler » «Au travail je suis en vacances de toutes mes responsabilités familiales écrasantes… mais ca ne veut pas dire que je n’aime pas mes enfants ») .
Ce que j’essai de dire ici, c’est que l’idéal de société nous empêche d’être nous même comme pourrait le faire un parent n’ayant pas fait le deuil de son enfant fantasmé. L’urgence n’est pas de se nourrir (pays pauvres), ni d’être (philosophiquement parlant), mais est dans la croyance d’avoir le plus de chose pour prouver sa valeur. N’est ce pas une croyance trompeuse de tout avoir ? Le manque de frustrations n’engendrerait il pas le fait de ne plus avoir de désir et par cela même, ce sentiment de vide si commun aux personnalités limites ?
Au travail, la société exige que nous soyons plus rapide, plus performant que nos concurrents, pour cela nous avons créé des technologies de communication basées sur l’instantanéité. Puis elles sont passées à une utilisation plus personnelle. Tout cela affecte notre rapport aux autres, les relations se créent plus vite, mais de ce fait, sont plus fragiles, éphémères. Pas le temps de s’engager durablement « impossibilité de vivre des valeurs à long terme – fidélité, engagement, loyauté- dans une société qui ne s’intéresse qu’à l’immédiat et dans laquelle les exigences empêchent d’entretenir des relations durables et d’éprouver un sentiment de continuité de soi(…) » Richard Sennett (sociologue).
Nous pourrions nous demander maintenant l’impacte de cette société sur les enfants.
Une société ou les deux parents travaillent, ou l’enfant est confié, la plupart du temps à une crèche ou une nounou dés ses 2 mois et demi et cela environ 35 h par semaine voir plus. Ou encore, où il existe de plus en plus de familles monoparentales (clivage précoce des investissements parentaux de l’enfant), et cela déjà très jeune dans la vie de l’enfant, avec souvent un choix de garde alternée avant ses 6 ans.
« L’imprégnation de l’enfant par un tissu familial est réduite à la portion congrue en raison, d’une part, du peu de temps passé en famille et, d’autre part, de la transformation grandissante de la structure familiale. »
Une société ou les mots qu’il entendra petit seront : « vite ! » « On va être en retard », « dépêche toi »… Une société ou l’enfant ne semble plus avoir le temps de « prendre le temps » de grandir, de pousser droit en franchissant toutes les étapes importantes à son bon développement (dont l’Oedipe) car il semble devoir accéder à l’autonomie rapidement (et donc pas du tout en mon sens…). Une société où, également, les repères semblent de plus en plus difficiles, pour lui, à prendre forme. Une culture ou le moi idéal est de plus en plus difficile a tendre vers un idéal du moi et ou les identifications constructives deviennent projectives afin de se défendre au mieux d’une relation objectale biaisée, angoissante, abandonnique, destructrice dans l’inconscient du sujet.
Comment le nourrisson, le tout petit enfant, peut-il se sentir en sécurité ? Comment peut-il construire des relations stables alors qu’il doit sans cesse changer d’interlocuteur ? Comment peut-il construire une stabilité affective adulte alors qu’il ne connait pas cela ?
De plus, pour les parents, ce mode de vie, que, bien souvent ils ont conscience de faire vivre à leurs enfants, semble très culpabilisant. Ils seront alors tentés de compenser en amoindrissant les frustrations de leurs petits : difficultés à dire non, réponse immédiates aux demandes de l’enfant sur des choses matérielles, difficulté à faire preuve d’autorité ou bien même parfois, faute d’être épuisés par les exigences de la vie extérieure : démission…etc. C’est l’ascension de l’enfant Roi ou de l’objet Narcissique (ses parents ressentant le besoin de combler les manques qu’eux même ont eu durant leur enfance, bien souvent par du matériel).
Avec la chute du Patriarcat, la société qui tient les parents par leurs obligations ne devient elle pas détentrice du pouvoir qu’avait autrefois les pères ? De ce fait, n’est elle pas dans ce sens une sorte d’idéal, car après tout, aujourd’hui ce qui sépare l’enfant de la mère ne serait ce pas les exigences de cette dernière ? et donc, qui détient le pouvoir symbolique qu’est le phallus ?
Notre société est en profonde mutation, nous sommes en période de transitions et comme tout état intermédiaire, cela génère le chaos, personne ne trouve encore sa place et oscille entre limites entre soi et autrui, entre penser et agir, entre la réalité psychique et la réalité extérieure, et, depuis quelques années, entre le virtuel et le réel.
« Il faut considérer les patients limites comme l’occasion qui nous oblige à reconsidérer nos modèles et à nous poser la question suivante :
L’évolution de la société va-t-elle, ou non, modifier les paramètres de base de la théorie psychanalytique ?
Toute la problématique du devenir du désir, de la culpabilité, du refoulement et des identifications, est contenue dans cette interrogation. » https://www.cairn.info/revue-le-journal-des-psychologues-2007
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